J’avais décidé de mitonner une salade d’endives aux noix du jardin et petits dés de Comté.
Cette idée saugrenue m’est venue en retrouvant au fond d’un placard planqué une bannette pleine de noix ramassées l’an dernier sous le noyer.
Dans ces cas là, j’aime à m’installer sur la petite table du salon, le cul dans le fauteuil télé, une écuelle pour collecter les écales posée sur un papier journal pour récolter les éclats éclatés pendant l’éclatement de la noix.
Vous voyez le tableau … bien entendu, dans ces instants relaxes, je mets la télé en sourdine, en fond sonore si vous préférez.
J’attrape la première noix et à l’aide un couteau à lame courte mais solide, j’entreprends de l’éventrer afin d’en retirer les cerneaux crémeux délicieux.
Au moment où je positionne la pointe de mon couteau dans la fente de la noix, j’entends une voix aiguë inconnue m’interpeller :
La noix (LN) : Hééééééé ! Hoooooo ! ça va pas, nooooonnnnn ! ?
Moi (M) : ???????????
Mettez-vous à ma place ! Y’a de quoi tomber de haut, même le cul dans le fauteuil !
Une noix qui parle !
M (poussant la pointe du couteau dans l’interstice) : C’est toi qui parle ?
LN : Aïe ! ça va pas, noooonnnn ! ? ça fait mal, retire ça tout de suite !
M (à moi-même en aparté mais suffisamment fort pour que la télé entende) : Je dois dormir, faire une sorte de cauchemar ….
LN (fort) : Aïe te dis-je, retire la lame de mon cul, tu me fais mal non de dieu !
M (en aparté mais …. ) : Une noix athée ! Elle ne met pas de majuscule à ‘dieu’ !
LN (crie) : Retire cette lame ou je te …
M : Tu me quoi ?
LN : Je te fais un procès pour torture physique !
M : Mais arrête un peu de déconner, une noix n’est pas un être, c’est une juglandacée oléagineuse, une noix ne parle pas, une noix ça ferme sa gueule …
Et hop, d’un coup sec, je décollecte les deux partie de coque pour atteindre le cœur tendre et savoureux de la noix.
LN (elle pousse un cri perçant et douloureux puis se tait).
M : C’est qui le chef ! ?
Après avoir soigneusement séparé les cerneaux des coques, je chope une deuxième noix …
LN (tremblotante comme une feuille morte …) : Noooonnnnn pitié, ne m’éventre pas, je suis jeune, j’ai encore quelques beaux jours à vivre …. Pitié !
M : Mais c’est quoi ce sketch ?
LN : J’ai vu ce que tu as fait à Caroline, s’il te plaît ne me fais pas subir le même martyr …
M : Toi aussi tu vas me faire un procès ?
LN : Non, non, je ne ferai rien, je ne t’embêterai pas, mais épargne moi, prends plutôt une autre noix, plus vieille qui a le droit de mourir dans la dignité …
M : Une vieille noix toute rabougrie au goût de carton, c’est ça que tu veux que je mette dans ma salade ?
LN : Ah ! Parce que tu fais une salade ?
M : Ben oui, pourquoi crois-tu que j’écale des noix ?
LN : Mais c’est quoi comme salade ?
M : Une salade aux noix.
LN : Y’a que des noix dans ta salade ?
M : Ah non, les noix ne sont que des ingrédients goûteux qui exaucent le goût suave et légèrement amer de l’endive.
LN : Mais …. Tu as vérifié que tu avais des endives ?
M : Tu me prends pour un chicon ?
LN : Non, pas du tout, mais … je me disais, comme ça, que ce serait bête d’éplucher des noix si tu n’as pas d’endives pour faire la salade, parce que les noix, une fois ouvertes, leurs petits cœurs flétrissent, se racornissent, vieillissent et finissent pas prendre un vilain goût de carton.
M : Ouaip ! Bouge pas, je jette un coup d’œil au frigo …
Bien entendu, je retrouve le paquet d’endives que j’y avais mis la veille. Je l’attrape et je l’ouvre. Je saisis une endive et je la passe à l’eau froide pour la laver … lorsque …
L’endive (L) : Ahhhhh ! C’est froid !
Non mais ! Vous vous rendez compte ? Une endive qui parle ! Je deviens fou ou quoi ??????
L : S’il te plaît, arrête, c’est trop froid !
M (à moi-même, en aparté mais à voix haute et ferme) : Si c’est une blague, elle est de très mauvais goût !!!
J’attrape un saladier dans le placard, un couteau effilé dans le tiroir et je commence à découper l’endive en lamelles …
L : pousse un grand cri strident et désespéré puis se tait !
J’attrape une seconde endive et la place sous le robinet pour la nettoyer …
L’endive (L) (implorante) : S’il te plaît, ne me fait pas ce que tu as fait à mon amie Julie, ne me découpe pas comme un saucisson, je ne veux pas mourir, je suis trop jeune …
Je l’interromps …
M : Tu ne comptes tout de même pas me faire le coup de la noix ?
L : C’est quoi le « coup de la noix » ?
M : Laisse tomber !
L : Pourquoi veux-tu me saucissonner ?
M : Pour faire ma salade.
L : C’est quoi comme salade ?
M : Une salade d’endives aux noix et Comté.
L : C’est quoi du ‘Comté’ ?
M : Ben … du fromage.
L : Et tu as vérifié que tu en as ?
M : Ah ! Je te prends en flagrant délit de plagiat, tu me fais le coup de la noix !
L : Et si tu n’avais pas de Comté ?
Putain ! ça commence à me gonfler !
J’ouvre le frigo, saisis le comté, éventre le conditionnement et sors le fromage qui s’écrie
Le fromage (F) : NOOOONNN Pitié, ne me décapite pas, je ne veux pas mourir …
De surprise, je lâche le fromage.
M : Nom de dieu de non de dieu !!! C’est quoi ce bordel !
Je me pince …
M : Aïe ! Mais c’est dingue, je ne dors pas, c’est fou … oui, c’est ça, je deviens fou …
Je lance un coup d’œil circulaire tout autour de moi sur 360° sans que mon corps bouge …
Je suis dans la cuisine, sur le plan de travail le saladier avec le premier chicon, le deuxième repose à côté du saladier, de l’autre côté, le fromage que j’ai laissé tombé … et dans la salle, sur la table basse, le panier de noix et un récipient avec deux cerneaux et une noix sur la table.
M : (à moi-même …. Etc ….) : Y’a quelque chose qui cloche ! Mais quoi ?
C’est à ce moment exact que j’aperçois le photophore sur le manteau de la cheminée …
Je vais à l’âtre, place une bougie neuve et attrape la boîte d’allumette. Je prends une allumette, mais au moment de la gratter, l’allumette s’écrie …
Allumette (A) : NOOONNN, s’il te plaît, ne me gratte pas, je ne veux pas brûler, pas déjà, laisse-moi vivre encore un peu …
Bon, là, trop c’est trop !
Je me pose dans le fauteuil, je ferme les yeux et m’endors.
Combien de temps ai-je dormi … ?
Toujours est-il qu’à mon réveil, je me rends compte illico presto que tout est resté en état !
Les noix sont devant moi et de loin, j’aperçois le paquet d’endives, le saladier et le Comté sur le plan de travail de la cuisine.
J’attrape la noix …
LN : NOOONNN pitié, ne m’étripaille pas, je ne veux pas mourir ….
M (fermement décidé à ne pas me laisser mourir de faim…) : Désolé, ma belle, mais c’est toi ou moi !
Crac, je la craque, en extirpe les magnifiques cerneaux et attrape la prochaine noix qui hurle …
LN : NNNNNNNNNNNNNNOOOOOOOOOOOOOOOONNNNNNNNNN …
Craque, craque, craque … et que j’étripe, que je décollecte, que je décortique, que j’étête, que je décapite, que je saucissonne … dans les cris, les hurlements, les sanglots …
Bon ! Où Ai-je mis les échalotes …..
Au fond du placard, j’entends les échalotes qui sanglotent …
Les échalotes (E) : non, non, pitié, pitié on ne veut pas mourir, pitié, ne nous épluchez pas …
J’ai pris ma bagnole et je suis allé bouffer au resto … là, au moins, tout est déjà mort dans l’assiette !