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reporter

  • Premier contact

     

    mercredi 5 novembre 2008 (suite …)

    Comme je postulais à un poste de rédacteur en chef d’un grand quotidien Ablonais :

    « l’Ablonais International » (journal d’extrême neutralité pro notables et d’obédience locale sur le plan international)

    Je fus convoqué par le directeur du journal dans son bureau (au sous-sol de la sacristie).

    L’homme est assis derrière son bureau, il est déplumé du crâne et a une grosse bouille avec des yeux ronds sans cils ni sourcils, une bouche lippue un cigare entre ses lèvres obèses. Il lit, ses lunettes sur le haut de son front …

    Il ne lève pas la tête et me fait signe de m’asseoir sur le siège usé qui lui fait face derrière le bureau.

    Les minutes passent … s’est-il endormi ?

    Son cigare pue !

    Je jette un coup d’œil circulaire sur la petite pièce sombre qui sert de siège social, de salle de rédaction, de bureau de direction …

    Sacré foutoir ! indescriptible désordre de bouquins, journaux, papiers, croix de jésus, ciboires, cannes à pêche, poster de Madona et de Barack Obama, photos de Sarkozy et De Gaulle cimaisées aux murs sales de couleur chiasseuse et lavasse ….

    La cendre tombe sur la feuille qu’il fait semblant de lire … il ne s’en aperçoit pas !

    Sans bouger les lèvres, il me demande :

    « Et il s’appelle comment ? »

    Putain ! je sais pas, vous, mais moi, les mecs qui utilisent cette forme crétine entre le voussoiement et le tutoiement …. Ça me file des poussées d’urticaire purulentes !

    J’exerce sur moi-même un effort surhumain pour ne pas me lever et me casser … je décide de le prendre à son propre jeu …. J’attendrai qu’il déraille ….

    « Il s’appelle Yfig »

    Plus rien ….. puis …

    « Il a amené son CV ? »

    « il a »

    Les secondes s’égrènent comme les petits poids d’un chapelet bon marché …

    « Ben il me le donne, alors ! »

    « il l’a mis sur son bureau … »

    Il tend sa grosse paluche poilue sans lever la tête et se saisit de mon résumé de vie et le pose sur sa cendre de cigare.

    Il se le passe sous les yeux sans bouger la tête, sa main lui servant de va et vient …

    Parfois, il fait « hin ! » d’autre fois, il fait ‘hue ! » ou « gna ! » et même « bof ! » ….

    « L’a fait l’Afrique …. L’a rapporté des maladies ? »

    « Non, l’a passé à côté ! »

    « Les diplômes, y les a sur lui ? »

    Oups ! alors ça ! c’est bien la première fois qu’on me pose une telle question !!! avant que j’aie le temps de répondre, il hurle  :

    « Comment ! ? Il est pas agrégé de philosophie ???????

    Et, comme je reste coi et éberlué, il ajoute en sourdine :

    « Pas grave les faux ça se brade sur Internet ! 

    Y va se débrouiller pour acheter son ‘agreg de philo’ aux States, Harvard, ça le fait si y veut, je lui donnerai les adresses …»

    « Non, merci il reçoit des propositions tous les jours »

    Vous remarquerez que le bonhomme utilise des variations subtiles de la troisième personne du singulier depuis le ‘il’ relativement distant en passant par ‘l’a’ qui est plus cordial jusqu’au ‘y’ qui est carrément familier.

    « Oui, ben en tout cas, nous au journal, on a tous une ‘agreg de philo’ c’est un minimum ! D’ailleurs, tous les journalistes modernes où qu’y soient, aussi bien dans les journaux que dans la radio ou à la télé, y z’ont tous des ‘agreg de philo’ ! il a remarqué ? »

    « il a remarqué »

    « Y sait pas dire je ? »

    « y sait »

    « Alors y dit »

    « y dit »

    Il lève la tête tout interloqué !

    « y se fout de moi ? »

    « Non, m’sieur, y se fout pas, y s’adapte au mieux ! »

    Il me scrute un moment ….. et

    « Bon ! y part demain pour les States, y va interviouver Obamo ! »

    « Y veut dire ’Obama’ ! »

    « Y l’a pas l’sens de l’humour ? »

    Je reste silencieux …

    « Y l’attend quoi ? »

    « Ben … euh ….. un contrat de travail et un ordre de mission, sans parler de ma carte de presse … »

    « Il est à l’essai … y part et on verra tout ça à son retour si il a fait un bon reportage ……….. »

    « Mais il a pas les thunes pour se payer le voyage … »

    « C’est son affaire … allez, ouste ! »

    L’air frais d’Ablon m’a cinglé le visage, j’ai relevé mon col et glissé mes mains dans mes poches en pensant :

    « Un grand reporter est né …à nez avec son destin ! »

     

     

     

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    en grand :