Dimanche 20 juin 2004
Petit Couronne (76)
Arrivée a 9 h
Accueil sympathique, l’organisateur nous indique notre place dans un coin du parc du château.
Nous approchons notre véhicule dans le parc et nous déchargeons notre barda.
Le temps est couvert mais sec. A la radio, sur la route, ils annonçaient des ondées intermittentes (ça va valoir le spectacle!).
Nous avons droit a une tente.
Notre voisin est un sculpteur, ses travaux sont tres mineurs, de bric et de broc, de petite taille en bois en pierre et une ou deux en céramique. Des chats, une langue en acajou intitulée : langue de bois, il nous affirme que cet objet lui aurait valu l’acrimonie du président de l’assemblée régionale de haute Normandie (vanitas vanitatis !).
Nous accrochons nos oeuvres aux grilles pretées par la mairie.
L’attente commence.
Elle sera longue, de nombreux badauds se traînent dans les rues de la ville, mais personne n’entre dans le parc du château.
Vers 11h30 je me décide enfin a utiliser ce temps perdu pour travailler un peu. Le coeur n’y est pas vraiment, mais, comme a l’accoutumé, apres quelque temps, je commence a travailler avec sérieux. J’ai décidé de faire un portrait sur un carton entoilé 10F. Je dessine sans hâte, et, apres avoir pris un peu de recul, je dois me résoudre à tout gommer ! Je repars avec courage et détermination.
Quelques gouttes de pluie nous obligent à mettre nos travaux a l’abri.
Vers 13h nous nous décidons à nous sustenter. Nous sommes seuls attablés au milieu des tables posées nonchalamment sur la pelouse, la viande est trop grillée et la salade pas assez assaisonnée. Le soleil est de retour.
Je retourne à mon chevalet d’un pas traînant.
Mon dessin ne me plaît pas, je le recommence. La gomme chauffe et dégagerait presque comme une odeur de pneu cramé.
Cette fois, ça vient. Plus qu’une courbe pour délimiter grossierement la chevelure et l’esquisse sera prête à accueillir la peinture.
Je dépose une noix de blanc et une autre de terre d’ombre brulée sur la palette et j’attaque la toile.
Je ne fais les mélanges qu’avec le bout de mon pinceau fin, avec délicatesse et parcimonie. Je dépose le mélange avec encore plus d’avarice et d’un second pinceau trempé dans le blanc, j’étire la pâte pour que la couche ne soit qu’une fine pellicule. Puis à l’aide d’un troisieme pinceau, j’augmente sans exces les tons les plus foncés.
J’avance ainsi, sur la pointe de mes pinceaux, emplissant lentement les parties de toiles encore vierges.
Je suis, a présent, tout a fait concentré. Le monde n’existe plus, je ne perçois aucun signe de vie extérieure, seuls mes yeux et mes doigts me transmettent leurs émotions. Je ne suis plus de ce monde, je suis dans la toile, dans un processus qui n’a plus rien de terrestre et qui me porte, me transporte comme l’ouate humide et chaude d’un nuage floconneux.
Au moment de reprendre une once de blanc, je jette un coup d’oeil inconscient vers mon épouse et je perçois inaudiblement qu’elle se marre. Je repars dans mon travail et mon conscient fait un effort surhumain pour me contraindre a jeter un autre coup d’oeil vers le visage hilare de ma femme.
Il se passe quelque chose, mais quoi ?
Avec le meme fatras que l’on a a passer du sommeil a l’éveil, j’émerge chaotiquement de mon état comateux.
Mon épouse me fait un petit signe de tete et je comprends qu’elle m’encourage a m’intéresser a ce qui se passe dans mon dos.
Ils sont bien une dizaine assis la sur le rebord du muret de l’enceinte du parc et je comprends que depuis de longues minutes, ils observent mon travail.
Je leur adresse rapidement une grimace qui se voudrait sourire puis me tortille sur mon siege comme une andouille au feu d’un barbecue.
D’ailleurs, je sens soudain les fourmis qui assaillent mes fesses et les millions de picotements qu’elles m’infligent.
Je me leve … et romps ainsi le charme.
La petite troupe s’égaye et vaque a d’autres occupations ludiques.
Une troupe de trois ménestrels des temps modernes s’épuise a distraire le public.
Ils sont maintenant nombreux assis un peu partout sur la pelouse a louanger ce trio dilettante et bruyant comme une fanfare villageoise grâce a l’ampli qui hurle comme un âne qu’on sabote. Je ne les avais pas entendus jusque la !
Je me tends la main et m’emmene faire un tour pour me dégourdir les fesses.
En haut de l’allée, je pose un regard distrait sur les aquarelles. Pas de quoi se rincer l’oeil ! Les perspectives sont nases, les couleurs javellisées et les themes éculés. Les dames qui exposent ressemblent a leurs chefs d’oeuvres.
Revenu a mon ouvrage, j’évite a présent de me laisser magnétiser par icelui.
Au bout de quelques minutes, une bande de garnements, d’une moyenne d’âge inférieure a dix ans, entreprend une joyeuse farandole frétillante.
Une gamine effrontée autant que mignonne me lance ingénument :
« Monsieur, comme vous dessinez bien ! »
Je dissimule le rose de mes joues en simulant une couperose inopinée.
Un bambin, pas plus vieux que le nombre d´ans qu’il me reste avant la retraite, encouragé par la hardiesse des propos de sa consoeur, s’époumone avec allégresse:
« M’sieur, m’sieur, on peut dessiner avec vous ? »
Et je le vois qui tend sa petite menotte vers mes pinceaux huileux …
D’un bond j’évite la cata et tout en essayant de rester calme lui dis d’une voix doucette :
« Attention titi, c’est pas d’la peinture à l’eau, ça ! ça peut salir tes vetements et donner des boutons a ta peau diaphane !!! »
Je sens que j’ai marqué un point et j’ajoute avant qu’il ne puisse argumenter :
« Ta maman s’rait pas contente et tu risques la fessée ! »
Le chérubin haut comme une tour Eiffel en sucre me snobe :
« Ma maman elle me donne jamais de fessée ! »
Bon ! La jeunesse est en marche, j’ai plus qu’a avaler ma chique.
Heureusement, le bon sens ne manque pas à notre descendance et ils repartent tous comme ils étaient venus avec des rires et des exclamations pétaradantes.
Ca m’a déconcentré, tout ça et j’ai toutes les peines du monde à soulever mon pinceau de dix grammes.
Mes admiratrices et admirateurs sont revenus, mais cette fois je ne m’en laisse pas conter et je travaille tranquillement.
D’ailleurs il est bientôt temps de lever le camp.
La gamine de tout à l’heure est revenue, accompagnée de son bout d’chou de soeur et de son vénérable papa.
Celui me demande si j’accepterais de faire le portrait de ses filles.
Je suis un peu surpris de cette sollicitude, mais comme je n’en suis pas a ma premiere manifestation artistique, je ne suis pas totalement déboussolé.
Je lui explique qu’il est tard pour se lancer dans une telle aventure, mais que s’il le souhaite je peux travailler sur photos. Les mignonnes trépignent sur place et le papa est trop soucieux de leur bien etre pour ne pas accepter toute compromission. Je sors mon appareil numérique et, comme si j’avais fait ça toute ma vie, j’enjoins à la premiere poupée de s’asseoir sur mon siege.
Hop ! les deux petites sont enregistrées sur ma carte mémoire et ne sont pas prêtes de s’en échapper !
Le papa me demande ce qu’il lui en coutera et je prends mon ton le plus professionnel pour lui proposer de me régler selon sa satisfaction.
« Donnez-moi vos coordonnées, je vous enverrai les portraits et vous me gratifierez selon votre degré de satisfaction »
Il en reste comme deux ronds de frites, il n’ose croire a une telle naiveté et cherche désespérément le piège ……. Je suis obligé de lui répéter ma proposition tant elle lui semble abracadabrante.
Voila !
J’ai envoyé hier les deux portraits.
J’attends, comme vous, la chute de cette histoire.
Amicalement
Yfig
Commentaires
J'ai donc fait les portraits des deux jeunes filles ..... les ai envoyés au papa ..... qui m'a retourné un petit chèque !
Il y a un début à tout et je suppose que Picasso, Dali, Renoir, Monet, Manet, De la Tour, Ingres, Velasques .... et tous ceux que j'ai la flemme de citer .... ont débuté petit !!! non ?????????
!