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  • Tata Baluchon reçoit la légion d’honneur ... quelle horeur !

     

     

    Comme d’hab je suis en retard.

    Pas le temps de prendre un café, je me rattraperai au bureau …

    Évidemment, l’ascenseur ne répond pas …. Vite, je saute dans les marches comme un para s’éjecte de l’avion d’un bond … j’avale les marches quatre à quatre  …. Et plus si affinités !

     

    Merde !

     

    Elle est dans l’entrée, son balai à la main elle guette sa proie comme une araignée affamée, le prochain locataire qui va lui tomber entre ses pattes velues.

    Dès qu’elle m’aperçoit elle gueule de loin :

    « Ah ! le p’tit monsieur du troisième gauche, c’est pas vous que j’attendais … mais à défaut ! »

    Je tente le tout pour le tout …

    « Désolé madame Baluchon, mais je suis très en retard … je ne vais pas… »

    Elle :

    « Tut tut, ça ne sera pas long, juste votre avis sur un petit problème pilo saphique »

    Je fais celui qui n’a pas entendu, mais elle m’alpague par la manche et de sa main de velours en fer elle me bloque contre le mur en me postillonnant sur la bouche :

    « Il en pense quoi, lui, du refus de monsieur Piccadilly de son prix poubelle ? »

    Je suis tout baveux, limite dégoulinant … j’ai envie de gerber, ça pue le chou, la vinasse et je ne sais quoi qui me rappelle un peu la pisse de chat ! Je me torche d’un revers de l’autre manche.

    « Madame Baluchon, promis juré, j’en discuterai volontiers ce soir avec vous … mais là, je n’ai vraiment pas le temps ! »

    Mais elle ne lâche pas sa prise et, derechef, m’inonde de ses horribles postillons.

    « C’est sérieux mon petit monsieur, est-ce que vous refuseriez un prix comme ça, vous ? »

    « Non, madame Baluchon, jamais je ne refuserais pareil honneur … je peux y’aller maintenant ? »

    « Vous vous rendez compte ? Invité chez Trucker au palais de Les lysées, avec des brassades et des petits fours … faut vraiment pas être normal pour refuser ça ! »

    Souvent le silence est d’or et finit, parfois par décourager la bignole … mais là !

    « D’après vous, qu’est-ce qui a bien pu lui passer par la tête ? »

    Ne pas répondre, garder un silence distant, un mutisme prudent …

    « Moi, je crois que c’est la folie qui l’a pris par surprise sans crier gare … St Lazard » (et elle se marre de son bon mot en me faisant un sourire noir comme ses chicots).

    Je détourne la tête pour essayer d’éviter ses crachats … c’est ma nuque qui prend tout !

    « Quoi, il ne me croit pas ? et ça … c’est du ragoût d’mouton ? » Elle me tend un journal que je n’ose refuser … parce que les représailles … et, oubliant malencontreusement mes bonnes résolutions, je lis à voix haute :

    « Thomas Picketti refuse la légion d’honneur. »

    Elle, triomphante :

    « Alors ! ? J’avais pas raison ? »

    Que vais-je bien pouvoir dire au bureau pour expliquer mon retard ?

    « Bon ! c’est pas le prix poubelle, mais c’est quand même une belle … euh … »

    « Ce n’est que la légion d’honneur, madame Baluchon, juste une médaille sans valeur et sans récompense pécuniaire. »

    « Pécul ou pas pécul, moi je dis que quand qu’on vous donne quelque chose, on n’a pas le droit de refuser ! »

    « Mais il s’explique, il dit que ce n’est pas au gouvernement de décider de qui a du mérite et de qui n’en n’a pas ! »

    « Ça ne veut rien dire, ça, si quelqu’un vous offre … un bouquet de fleurs, par exemple, ben on va pas lui jeter à la figure, c’est du manque de respect ! »

    « C’est justement ce que Picketti voulait exprimer, du mépris et de l’irrespect pour une décoration galvaudée qui est attribuée à n’importe qui pour n’importe quoi … »

    « Holà, le p’tit monsieur, c’est pas en m’inondant de vos mots savants que vous allez m’impressionner ! »

    En parlant d’inondation …. Si elle pouvait fermer la bouche en parlant ….

    « Moi, si le syndic me donne le prix poubelles, hop ! Je le prends et je l’affiche sur la porte de ma loge pour que tout le monde voie bien que je suis fière de mon travail ! »

    « Ce qu’on va faire, madame Baluchon, c’est qu’on va y réfléchir, chacun de son côté et ce soir on en reparle … »

    « Pourquoi remettre à noël ce qu’on peut faire le jour de l’an ? »

    Le temps que je réfléchisse à cette litote … elle reprend …

    « Justement, au jour de l’an, moi, on me donne des étrennes … Je voudrais bien voir que je les refuse !»

    OUUUUUHHHH !!! On est parti loin, là … J’essaie de revenir à l’essentiel …

    « Je suis attendu et en retard pour mon bureau. »

    « Vous voulez que je vous fasse un mot ? »

    « Je préférerais que vous me laissiez passer. »

    « Mais je ne vous retiens pas ! »

    Et elle me tient plus serré que jamais contre le mur pour bien me montrer que c’est elle le chef !

    « Alors à ce soir … »

    « Mais vous, vous l’accepteriez, vous,  le prix poubelle ? »

    Et elle me tient bien serré, si serré que je commence à manquer sérieusement d’air !

    « La vérité, c’est que vous manquez d’air ! Vous refusez de voir que le prix poubelles est une solution ! »

    « Chére madame Baluchon, vous avez tout à fait raison …. Et … oui …. Je manque d’air … »

    Je dois être plus que rubicond … elle finit par relâcher sa pression … mais pas trop ….

    « Quand vous dites que j’ai raison …. Vous pensez que j’ai raison … sur quoi ? »

    « Sur tout, madame Baluchon, sur tout ! »

    « Le tout c’est le rien selon Einstein ! »

    Tata Baluchon citant Einstein sans se tromper sur son nom … je défaille, elle doit avoir un coach en philo un Aufrais ou un Bernard Harry l’écrevisse … Fière de son petit effet qu’elle détecte à me voir ainsi stupéfait et défait, elle pousse le bouchon un peu plus loin …

    « Et pourquoi j’aurais pas le droit au prix poubelle ? Je suis pas assez bien pour ça, peut-être, je ne mérite pas qu’on s’intéresse à moi, je ne travaille pas assez comme ça, je suis une pôv … »

    « Madame Baluchon, avec tout le respect que je vous dois, je crois que vous confondez le prix Nobel avec le prix poubelle ! »

    ERREUR FATALE ! Elle se colle à moi comme une ventouse et je peux sentir ses deux gros nichons me rentrer dans les poumons et me couper le souffle ! Avec une vigueur inouïe, elle m’aplatit comme une crêpe bretonne et son ventre contre mon ventre, ses cuisses lipophiles contre mes cuisses de mouche, sa bouche tout contre ma bouche elle hurle :

    « QUOI ? »

    Je défaille, je me sens vide, inconscient, pris d’ictus et de désespoir … ma fin est proche … elle vient de m’envoyer un jet de chique dans le gosier et au lieu de me revigorer, cette mixture infâme me liquéfie … Voyant que je suis devenu plus mou que sa serpillière, elle recule et me maintient d’une ferme poigne par le colbac pour m’éviter de me répandre à terre.

    « Vous pouvez toujours m’insulter mon petit monsieur,  je sais ce que je dis et je lis la presse déchaînée pour me tenir bien informée des nouvelles du jour le jour et j’en sais probablement plus que tous les habitants de l’immeuble réunis y compris vous ! »

    Elle me lâche et je glisse nonchalamment le long du mur avant de me retrouver le cul par terre.

    Elle s’éloigne, digne, droite, emportant son balai, son seau, sa serpillière vers d’autres lointains horizons, là où l’attendent son esprit et sa culture (peuvent toujours attendre !).

    Après tout elle n’a pas tout à fait tort, si Piketti n’avait pas refusé sa médaille, tout cela ne me serait pas arrivé !